Une nuit de juillet.
Ma chemise de nuit s’est entortillée autour de mes jambes, elle est trop chaude pour la saison. Des cris me parviennent du salon voisin. Les voix de mon grand-père et de ma mère, agitées, qui montent dans les aigus. Ils doivent encore s’engueuler pour un point de belote. Ils m’ont appris hier comment y jouer. A cinq ans et demi, je suis assez grande maintenant, et puis, à force de les entendre, j’ai déjà compris beaucoup de choses de ce jeu. Belote et rebelote, Pique ma fille, tu seras mon gendre, Qui gagne au début perd à la fin, c’est écrit sur la queue du lapin… je n’ai finalement assimilé que le folklore, mais c’est déjà beaucoup.
Je me dépêtre du tissu collant, pose mes pieds sur le carrelage frais, et m’en vais au salon, les yeux noirs de nuit, voir ce qui les fait brailler comme ça. Les cartes sont bien sur la table, en vrac, entre les peaux de pastèque et les coquilles d’amande, mais pépé et maman ne jouent pas. Ils sont tous les deux assis devant le minuscule poste de TV sur des chaises de cuisine en formica vert. Assis ? Non, ils bondissent sur leur chaise, comme le fait d’habitude pépé durant le tiercé dominical ou les arrivées du tour de France, mais il braille encore plus fort, son béret basque de traviole sur sa tronche fendue.
Leurs phrases sont décousues, incohérentes.
« Putain petite, je peux pas le croire. Ils l’ont fait ! »
Ils tombent dans les bras l’un de l’autre comme un jour de tiercé gagnant. Pépé n’en finit pas de bafouiller, et maman a des larmes sous ses lunettes. Elle me voit enfin, nichée contre la porte du salon, s’accroupit, me prend dans ses bras.
« Des hommes ont marché sur la lune. »
Il me faudra des années pour comprendre leur excitation, et la portée de cette petite phrase. Des hommes ont marché sur la lune…
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