Modernité

Il m’est arrivé, sur ces pages, de vous causer de mon Chonchon. Mais peut on causer de Castor sans évoquer Pollux ? Non, pour sûr. Or, le Pollux de Chonchon se prénomme Adrien.

On dit que qui se ressemble s’assemble. Ces deux là se rencontrèrent en sixième, à l’aube de leur dixième année. Tout les poussait l’un vers l’autre. Un petit air ahuri, leur incapacité à nouer leurs lacets tout seuls, la passion des Pokémon, et un art consommé de la maladresse domestique les rapprochaient indubitablement. Las, j’avais, en l’espace de trois mois, adopté Adrien qui venait passer chez nous week ends et vacances scolaires pour échapper à deux sœurs pour le moins indésirables et m’étais résignée à ajouter sur ma liste de courses hebdomadaires une moyenne de quatre à six verres neufs pour remplacer ceux qui se mettent invariablement sur la trajectoire de ses coudes.

Sitôt que rentrés, mes deux lascars squattaient mon PC, naviguant ici et là à la recherche d’infos inédites sur les évolutions des Bluebizzare et Stégobulles qui peuplaient leur univers.

Un après midi qu’ils jouaient tous deux dans mon bureau du temps que je vaquais à la cuisine, je les entendis rire si fort que j’allai m’enquérir promptement des causes de leur hilarité. Ils avaient trouvé, en surfant sur le site de leur collège, une photo de la directrice de l’établissement, toute en chair et rouge à lèvres, qu’ils avaient entrepris de retoucher à grands coups de paint shop.

Délices de la modernité. Quand je songe que nous en étions réduits, nous, à leur gribouiller des moustaches au feutre noir. Y’a ben pas de justice.

J’harponnai mon Quentin qu’avait des maths à faire, et laissai Adrien poursuivre seul ses hautes œuvres.

Allez faire bosser Castor quand Pollux joue. Mon Chonchon, profitant de ce que j’étais occupée au téléphone, s’esquiva pour répondre à l’appel impérieux de son comparse.
   « Non, fais pas ça, t’es dingue ! » entendis-je du salon. « MAMAN, MAMAN ! »
   « Oui, quoi ? »
   « Maman, y’a Dri qu’a envoyé un mail à la dirlo »
   « Qué mail ? »
Je me saisis de mon portable, et j’ouvre Outlook. Adrien, à mes côtés, me rassure d’une petite voix. « T’inquiète Marie, j’ai pas signé, elle peut pas savoir que c’est nous »

  « T.. t’es qu’une grosse salope de merde qui se fait enculer par tous les pions du bahut »

  « T’inquiète Marie, je l’ai fait anonyme ! »

  « T’es jamais anonyme sur le web » répond Chonchon avec un trémolo de larmes.

Anonyme, dites moi pas que c’est pas vrai.
Si c’est vrai, Adrien vient de poster un torchon signé Marie Rennard à la directrice du collège. Funérailles, traitons les problèmes dans l’ordre. D’abord, anonyme, c’est pas beau. Quand on insulte les gens, on signe mon garçon. Et quand on fait une connerie, on l’assume. Alors tu vas envoyer un second mail d’excuses, avec ton nom dessous.

Adrien est effondré. « Le dis pas à mon père, s’teup, le dis pas à mon père ». « Je veux pas dire que c’est moi, elle va me virer, le dis pas à mon père ».

  « Bon, si tu promets de plus jamais faire l’anonyme, je t’arrange le coup. »

Les larmes sèchent. Adrien promet, et je m’en vais décrocher mon téléphone, la mort dans l’âme, pour expliquer à la dame que ce mail, là, c’est pas moi qui l’avions écrit, et que c’est point Chonchon non plus. C’aurait pu, notez, mais c’est pas lui.

La dame n’est pas idiote, hein, si c’est point Castor, c’est forcément Pollux. Oui, mais comme elle ne peut en être sûre parce que je ne vais pas cafter non plus, Adrien évite les représailles. Enfin presque, parce qu’elle n’a jamais oublié, la directrice du collège, et que pendant les trois années qui ont suivi, elle n’a eu de cesse de faire des allusions à ses compétences informatiques chaque fois qu’elle l’a croisé dans un couloir.

Bien fait, non mais. Pis maintenant qu’il y a prescription, faudra que je raconte à son père, je lui ai jamais dit.