Comment on en arrive à déployer des pédagogies intuitives...
Je ne cesse de le répéter, le fractionnement par séquences de l'enseignement du Français au collège a des conséquences dramatiques sur l'acquisition par les enfants des "éléments de language". On pique ici et là, dans des extraits de textes - la lecture d'oeuvres n'est que ponctuelle, et en reader's digest, j'ai même vu une édition scolaire des Trois Mousquetaires qui tenait toute entière dans un fascicule - on pique ici et là, donc, des points isolés de grammaire qu'on émascule soigneusement même lorsqu'ils ont le glamour d'une bombasse, des notions plus ou moins difficiles de linguistique (le "déictique" en quatrième, l'absence totale de la notion, ou des temps du subjonctif) et on laisse moisir, sans jamais lier en sauce, les ingrédients épars. Il manque à ce système - outre de solides bases méthodiquement élaborées - un quelque chose qui permette d'appréhender la logique du tout, et dont la maîtrise permette à l'enfant de produire véritablement un discours. Identifier un imparfait du subjonctif, l'agrémenter d'un accent circonflexe, ne devrait pas relever de la mission impossible. Il n'est pas question de prôner le purisme, l'académique, l'irréprochable, mais bien d'exercer les cerveaux à repérer les éléments clés des formes de discours. La maîtrise de la subtilité, tant comprise qu'exprimée, est un facteur de complétude aussi essentiel que celle de la division à virgule. Or, ma cuisine est pleine de mômes de quinze ans qui, écrivant un texte à l'imparfait, déterminent la terminaison des verbes en se demandant s'ils sont mordre ou mordus. Quand on songe qu'ils devraient, théoriquement, vous donner la valeur du temps ? Alors, j'ai décidé, devant l'ampleur du massacre, et l'impossibilité de reprendre la grammaire à la base, de noyer la plus perdue de mes élèves dans un seul texte d'une dizaine de lignes, que je lui ai fait analyser méthodiquement sous tous les angles, produisant l'information et les liens entre les éléments à mesure qu'ils se présentaient. Au bout de deux heures, elle pleurait. Je m'y attendais un peu. Je l'ai renvoyée chez elle avec une aspirine, et elle est revenue le lendemain. On a repris le même texte, et vu ce qu'elle avait mis en place, ou pas. Continué, comme ça, quatre ou cinq heures. Et puis on a changé de texte, et recommencé. Aujourd'hui, j'ai ouvert un Zola à l'hasard, et je lui ai dicté ça :
"Elle parla de sonner pour qu'on allât lui chercher du papier timbré. Mais il voulut lui rendre ce service lui-même. Il avait sans doute le papier timbré dans sa poche, car son absence dura à peine deux minutes. Pendant qu'elle écrivait sur une petite table qu'il avait poussée au coin du feu, il l'examinait avec des yeux où s'allumait un désir étonné."
Elle n'a pas mis l'accent sur "allât", rajouté l'accord de "poussée" après-coup, à la relecture, et planté complètement le "s'allumait" qu'elle a écrit "allumaient", puisque "c'est les yeux qui s'allumaient". C'est la même qui, il y a deux mois, ne repérait pas un auxiliaire et un participe passé dans les temps composés des verbes, ni ne faisait de différence entre "se" et "ce", "qu'elle" et "quelles".
Je ne sais toujours pas quel lien cloche dans la méthode des séquences, mais il semblerait qu'on ait de meilleurs résultats en partant du tout plutôt que de la partie.