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Melting Pot et vin blanc doux
16 novembre 2012

Rue de l'oiseau mort.

Pour elles la saison des ballets démarrait début juin, quand le soleil chauffait les tuiles rouges. Les chauves-souris ne commencaient à danser que plus tard, et le soir seulement. Les hirondelles, elles, s'alignaient en silence sur le toit dès le milieu de matinée, et l'une après l'autre se laissaient glisser le long des tuiles écaille, à l'aplomb de la rue resserrée sur ses murs comme une place de village enclose de vieilles bâtisses. Les hirondelles, ici, risquent tout parce qu'elles ne risquent rien. Qui, excepté l'infidèle,  pourrait trouver la mort en sautant du toit d'un couvent ? Pas les oiseaux, ils ont la foi.

Perchée sur l'appui de ma fenêtre, je les regardais faire. Elles glissaient au ras des tuiles, tournaient entre les deux hauts murs jusqu'à se saoûler d'air et de tournis, virant d'un seul coup d'aile avant de percuter les pierres, comme les enfants tournent bras écartés, s'écroulant dans un rire sur les parquets brun miel quand leur tête dit stop. Leur tour fini, elles remontaient prendre leur place dans la file d'attente du manège. Ce matin-là, l'une d'elles a trop préjugé de l'oeil de son bon dieu. Ennivrée de confiance, elle s'est jetée à bas, et au quatrième tour, son vol s'est heurté au mur, juste au dessus de la porte de la chapelle. Elle est tombée comme une pierre morte, signant la fin de la récréation. Les autres, après un moment d'incrédulité, avaient abandonné le jeu et le cadavre encore chaud sur la pierre.

J'avais fini mon café. Je refermai la fenêtre, bien sûre que les chats, ou les éboueurs du quartier se chargeraient de sa dépouille.

Je me trompais. Le cadavre était resté là deux jours durant, chauffé par le soleil, épargné même par les fourmis. Les hirondelles avaient déserté le toit, et ma rue n'était plus qu'une rue comme toutes les autres. Au matin du troisième jour, j'avais déposé ma tasse encore à moitié pleine sur l'appui de fenêtre pour aller chercher un sac poubelle bleu dont je lui ferais un linceuil. Même les athées finissent par avoir de ces délicatesses. J'allais lui offrir une sépulture urbaine, modèle mobalpa et conteneur plastique. J'étais en train d'enfiler mes baskets lorsqu'un mouvement m'attira l'oeil. L'hirondelle avait frémi, ou j'avais la berlue. Un pied en l'air, ma pompe gauche à la main, je fixais la tache noire. Oui, elle avait frémi, agité convulsivement les ailes une ou deux fois, et puis s'était remise sur ses pieds, secouée, ébrouée, elle avait sautillé un peu, et s'était envolée. Avant que je me sois remise de ma surprise, ses copines étaient revenues s'aligner sur le toit, et le manège avait repris.

Jamais un curé n'avait réussi à perturber mon intime conviction, ma foi en une règle immuable : il n'y a pas de miracles. Si cette hirondelle s'était réveillée, c'est qu'elle n'était pas morte. S'était-elle relevée poussée par l'urgence, ayant pressenti que dix minutes plus tard, soigneusement piégée dans une poubelle azur, elle ne reverrait plus le ciel, ou bien tout ceci n'était-il que le fruit d'une coïncidence ? Je n'ai jamais tranché. J'aime trop la poésie, ou l'idée que la Providence veille sur ceux qui l'habitent, qui croient en sa bénévolence comme d'autres croient aux forces de dieu, ou du diable. Quoi qu'il en soit, j'ai vu, de mes yeux vu, ressusciter une hirondelle. Tant mieux. J'aurais aimé moyen vivre au 1 rue de l'oiseau mort. 1 rue de la Providence, pour le moral, c'est mieux.

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Commentaires
C
et comme très très souvent qu'est ce que c'est écrit!
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