Un journal, une époque...
J’ai récemment fait l’acquisition
dans une brocante et moyennant une somme tout à fait dérisoire de quelques
numéros des Annales Politiques et Littéraires (revue universelle paraissant le dimanche) de 1915 à 1918 à la
lecture desquels je me suis illico attelée, comme vous vous en doutez. Hé bien
je dois dire que ce qui m’a le plus marquée, dans ce savoureux journal sûrement
plus hebdomadaire qu’universel, c’est d’abord le compte rendu du procès du capitaine Hérail, jugé par les tribunaux militaires pour le meurtre de son odieuse et infortunée épouse qui faisait
qu’à l’étouffer sous les exigences d’une
affection égoïste, absorbante et jalouse … et ne pouvait supporter qu’il la
quittât… l’empêchait de se rendre aux manœuvres et le perdait aux yeux de ses
chefs. Le soldat fut acquitté, tant
il est vrai que pour porter dignement le
nom d’épouse, on doit soutenir, et non pas amollir celui qui combat, et l’exhorter
à bien mourir.
On taxerait peut-être à tort les juges d’indulgence. Car enfin on ne gagne pas une guerre en se laissant emmerder par d’effroyables petits monstres. Les femmes de soldats qui ont de la vertu envoient à leurs poilus, au lieu de les tyranniser, des colis de Beaume de Marche (trésor de nos soldats), de Savon Kenott (dentifrice essentiellement hygiénique et absolument français), de Solutions Pautauberge en tous genre censées protéger ou guérir les migraines, entérites, vertiges, dyspepsie, anémie, tuberculose ou indispositions nerveuses. Tout ce qu’il faut pour protéger son homme. Et quand l’amputation vient rendre supperfles les applications de corridice à la feuille de chêne, il reste encore la Jambe Natura (à flexion automatique, la plus légère), ou même, pour Messieurs les Officiers blessés ne pouvant momentanément se servir que d’un seul bras, la machine à écrire pliante (vente au comptant et par mensualités).
La dernière chose qui m’a amusée, c’est le nom du Rédacteur en Chef. Adolphe Brisson. Jamais entendu parler, alors j’ai cherché un peu. Critique dramatique, oncle de Pierre Brisson, qui deviendrait en 1934 le très remarqué directeur littéraire du Figaro où écrivaient, entre autres, Mauriac, ou Tristan Bernard.