Du passé faisons table rase...
Quand j’étais môme, mon pépé me chantait des chansons. C’était
pas mon grand-père. Celui-là s’est barré un beau jour chercher des cigarettes
en laissant derrière lui deux mômes dont l’aînée n’avait pas quatre ans. Bon
vent.
Mais pépé, lui, il était là. Militaire, il était. Et
musicien.
Quand il chantait, c’était comme l’opéra. Des chansons, il
en connaissait plein. Des rigolotes, des monte là d’sus et tu verras
Montmartre, des qu’auraient fait pleurer les roses blanches, des dégoulinantes
d’accordéon musette qui vous foutent les jupes en vertige, mais ce que j’aimais
le plus, c’est quand on marchait tous les deux. Là, il me chantait l’Internationale,
et j’avais des jambes de trois mètres. Chacune. Il la connaissait toute. Pas
que le refrain. Et si c’était si beau, c’est parce qu’il y croyait, ce con-là, au
décret du salut humain. Du coup moi aussi, j’y ai cru un temps. Ca valait mieux
d’ailleurs, parce que sinon pépé aurait jamais plus voulu me parler. Il parlait
jamais à ceux qu’étaient pas du fronpopulèr. Au début, je savais pas trop ce
que c’était. Alors j’ai pioché le sujet. La première fois qu’on s’est
engueulés, pépé et moi, j’avais quinze ans, et bien sûr c’était à cause de ça. On
était en train de taper la belote. Je sais plus comment c’est arrivé, mais bon,
c’est arrivé. Je lui ai dit qu’il s’était fait prendre pour un couillon. Il m’a
tout balancé dans la tronche. Les cartes, le tapis, les jetons, et il m’a plus
reparlé pendant toutes les vacances. Pourtant, il était venu en mobylette, pour
me voir. D’Aix en Provence aux montagnes de Haute Savoie, en 102, en pédalant
dans toute la montée du col de Lus
Heureusement, du front populaire, j’en étais quand même. J’ai
voté à droite que deux fois dans ma vie. Une fois pour Chirac, comme vous, et
une fois pour Simone Veil, aux européennes y’a déjà bien vingt ans, parce que j’avais
un devoir à rendre à cette dame. On est quittes comme ça.
Pépé était déjà mort. Sans plus jamais me chanter l’Internationale.
Ben ouais, That’s
life.
Alors in memoriam, pépé, et promis je me fous pas de ta
gueule,