Audubon et les hommes.
L’observation fortuite du comportement de la gent animale mène souvent à des constatations d’une consternante universalité. Ainsi ai-je eu le dépit de constater qu’il en va des corneilles comme des imbéciles, et que ces volatiles se conduisent comme de vulgaires supporters de football en nombre d’occasions. C’est en assistant ce matin à un pugilat de trottoir entre deux représentants de l’espèce que j’ai pu me rendre compte de visu (pourquoi maintenant que j’ai des lunettes, je sais que jusque là je regardais sans voir) – que j’ai pu me rendre compte, disais-je, que la scène suscitait pour une dizaine d’autres corneilles un intérêt certain. Celles-ci faisaient cercle autour des deux belligérants, émettant impunément des cris rauques et sonores qui vaudraient une nuit en cellule de dégrisement à n’importe quel poivrot qui pousserait les mêmes. Parmi cette dizaine d’oiseaux, il s’en est trouvé quatre qui, sitôt qu’ils voyaient le plus faible des deux protagonistes cloué à terre par son adversaire, s’enhardissaient à ajouter un coup de bec à sa détresse avant de battre en retraite d’un seul bond.
Pourtant, une corneille, intellectuellement, ça tient la route bien mieux qu’un hooligan. Tenez, j’emprunte chaque jour une route dont, pour cause de travaux, un tronçon n’est ouvert que par alternance. Ladite route traverse une forêt riche en noisetiers, chênes, et autres porteurs fruits à coque dont se délectent les corneilles. La seule contrainte pour elles étant qu’elles doivent trouver un moyen de casser ces coques pour manger le fruit(1). La méthode qu’elles emploient traditionnellement, et qui consiste à les laisser tomber de haut sur un terrain caillouteux n’est que relativement efficace, aussi ont-elles saisi une opportunité qui s’offrait généreusement à elles. Figurez-vous que ces malignes se contentent maintenant de venir lâcher les noix juste devant le feu qui régule le va et vient des autos. Feu vert, les voitures écrabouillent les coques en roulant dessus, feu rouge les corneilles dégustent les fruits de leur industrie dans la plus stricte sécurité. Aussi créatives que méchantes. Si c’est pas malheureux. Notez, y’a pas que chez les corneilles qu’on retrouve des schémas de comportements pareils. On distingue par exemple chez les rats trois groupes sociaux distincts. Les dominants, peu nombreux, les dominés, qui constituent l’immense majorité, et environ 3% d’électrons libres. Mis en présence d’une source de nourriture, les dominants useront de la force pour s’approprier plus que ce qui leur est strictement nécessaire avant de se regrouper sur un territoire commun, les dominés useront de la ruse pour préserver à leur usage le nécessaire, sans disputer leur part aux dominants, mais en ne se faisant, entre eux, sur leur propre terrain, aucun cadeau, et les quelques « électrons libres » prendront ce qu’il leur faut avant de rejoindre leurs espaces isolés sans qu’aucun représentant de ces trois castes ne leur demande de comptes. Ca, bien sûr, je vous le rapporte d’après lecture, les rats en ville étant bien trop discrets pour que je puisse vous faire part d’intéressantes observations.
N’empêche, ça donne à penser que finalement une bonne partie de l’intelligence du vivant n’est que foutaises, et que la taille du cerveau n’a pas grand-chose à voir avec l’usage qu’en fait son possesseur. Tenez, y’a pas si longtemps, on a demandé à des psychologues d’étudier sur vidéo le comportement des hooligans pour déterminer les signes avant-coureurs de baston. Ils ont déclaré forfait, et ce sont finalement des primatologues qui ont analysé, et décrypté les séquences. Etonnant non ?
(1) oui, comme dans la polésie de la guenon feignasse.
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