Souvenir souvenir...
Par les voies toujours tortueuses d'une conversation avec l'aîné de mes garçons, je me suis ramentu cette anecdote parfaitement authentique (c'est à peu près son seul intérêt) que je vécus lors d'un séjour en Irlande que je finançais tant bien que mal en bossant dans un bureau de tabac. C'était mon premier séjour là-bas, j'ignorais tout des coutumes et de l'accent local, et les vieilles du coin ne mettaient guère de grâce à me réclamer les vouchers que dont j'étais censée les gratifier pour l'achat de magazines de tricot ou de cartes postales. Cette échoppe symbolisait à elle toute seule toute la singularité de l'Ulster. Là où nous vendons des cartes marquées "joyeux anniversaire", ils avaient, eux, tout un choix de modèles pour chaque âge. Un cauchemar de mise en place. Une même variété régnait dans les magazines, les marques de tabac brun et même dans les fourrages de bonbons tous absolument dégueux. L'anglais des mômes m'était encore plus hermétique que celui de leurs aïeules, et hors le client standard qui me réclamait des marlboro, chaque nouveau chaland fatalement frustré par mes "could you repeat slowly please" amenait son quart d'heure de décodage et de contrariété. J'avais pensé qu'au bout d'une paire de semaines j'aurais fait le tour des demandes incongrues, mais non, chaque jour amenait son lot de déconfiture, et je commençais à me décourager.
Un matin, pourtant, Dieu se souvint de moi. Un échalas brun à lunettes fit tinter la sonnette de la porte d'entrée. Il me glissa un regard, hésitant, et fit deux fois lentement le tour du magasin avant de se planter devant le comptoir : Aïe ouante a paquette of Gitanes, WIZOUT filteur. Pliz.
Le sourire que je lui ai fait, vous imaginez même pas.