Menteur, menteur ne trouve que malheur...
La formule est de celles qu'on entend dans les cours de récré, et c'est celle qui m'est venue ce matin à l'esprit en lisant les commentaires faits ici ou là sur la réforme du bac pro. "Il faut arrêter de se leurrer et devenir enfin conscient de l'imposture de ce bac. Les élèves qui le décrochent n'ont pas pour autant le niveau pour suivre en fac".
Ha bon ? Et si je vous disais moi que ce discours là n'est que foutaises et qu'on arrive toujours à suivre à la fac, ou ailleurs, quand on est MOTIVE.
Des gens qui ont décroché - très honorablement - leurs diplômes universitaires en sortant de bac Pro, ou de bac Techniques, effectivement très très light pour la culture générale ou les langues, j'en connais un paquet, à commencer par moi. D'où que c'est possible ? Hé bien, d'une, la culture générale, c'est une chose qui s'acquiert par la curiosité et la lecture, pas seulement par l'enseignement. D'une deuxième, on ignore souvent, entre quinze et dix-huit ans, la véritable nature de ses passions, qui ne se révèlent quelquefois qu'au contact de l'enseignement supérieur. D'une dernière, l'adolescence n'est pas la meilleure période d'une vie pour apprendre et souffrir. Il suffit souvent de peu de choses pour transformer une feignasse en un boulimique de la découverte, comme de lui livrer un savoir non édulcoré de difficulté pour lui donner tout drêt l'envie de savoir plus, mieux, plus loin. Alors de grâce, ne coupons pas l'herbe sous le pied des enfants. Les bacs pro ne sont rien d'autre qu'une passerelle pour ceux qui au collège sombrent dans le marasme, un moyen de leur permettre d'acquérir une formation pratique sans renoncer à certaines bases dans les matières dites générales. A son tour, le bac pro doit servir de passerelle pour ceux qui, à l'issue de leurs années de lycée se réveillent de leur léthargie et se découvrent des envies d'aller voir plus loin, au prix certes de beaucoup de travail et de constance, et puis alors ?
Je vais vous faire une confidence. Lors de ma première année de fac, en septembre, un prof de traduction a effectué dans l'amphi un petit sondage sur les types de bac représentés dans l'arène. 90 % des étudiants présents venaient de bacs littéraires, les quasi 10% restants de bacs éco ou divers, tous généraux. Le prof fit ses calculs, et tiqua. Il me manque quelqu'un ! Qui a un bac autre que général ?
Je levai la main, un peu honteuse. Si je n'avais pas répondu à son comptage, c'est qu'il n'avait même pas proposé dans sa liste le bac dont j'étais titulaire. Techniques du Secrétariat.
Hé bien, je vous le dis, pour votre gouverne seulement, vous pouvez prendre vos affaires et aller voir ailleurs, vous n'y arriverez pas ici. me balança le monsieur devant les 400 étudiants rassemblés dans l'amphi.
Je suis une fille tenace. J'aime pas qu'on me dise ce que je suis capable ou incapable de faire. J'ai fermé ma gueule, et je suis restée.
Quatre ans plus tard, en maîtrise, nous n'étions plus que 40, et en traduction, au moins, j'étais la meilleure. Mention Bien ou Très bien aux quatre épreuves de Thème et de Version - et sans me tuer au travail.
Chéri, lui, avec un bac de dessin industriel, a même décroché, brillament, un doctorat d'économie du développement.
Des exemples comme ceux là, j'en connais plein, alors cessons de dire aux gens ce qu'ils sont capables, ou incapables de mener à bien, et laissons-leur le temps de grandir en empruntant les routes qui leur siéent.