Comment se faire des ennemis dans l’Education Nationale.
Donc l’une de mes copines est instit, et depuis des années je l’entends déplorer les lacunes de ses élèves de CM en Français. En début d’année, me dit-elle, je leur ai demandé quelle était leur matière favorite, et celle qu’ils détestaient. Ils ont tous dit qu’ils détestaient le Français. Faut voir le niveau qu’ils ont. Une catastrophe, ils ne savent même pas identifier un verbe.
Ben, c’est pas nouveau que j’ai répondu. Pis quand même, c’est un peu de votre faute hein, quand on voit comment vous enseignez ça.
HIIIIIIIIIIII… HIIIIIIIIIIIII…
Faut jamais dire à un instit que c’est sa faute, même quand c’est sa faute, et même quand c’est une copine. Surtout quand c’est une copine.
J’ai attendu qu’elle arrête de me striduler des syndicalismes, et je lui ai demandé si elle avait déjà pensé à les prendre par la bande et à les faire rire.
Ha, parce qu’on peut prendre le Français par la bande peut-être, qu’elle m’a répondu.
J’y ai dit qu’oui, of course, et que par « Français » on pouvait entendre bien des choses hilarantes. Comme l’étymologie. Et je lui ai raconté l’histoire de l’orchidée. J’étais prête à parier qu’à l’issue d’un cours d’étymologie rigolote, les mômes reconnaitraient les verbes et les noms du premier coup d’œil.
Et comment s’il te plaît ? m’a-t-elle défiée.
Je lui ai suggéré d’amener en cours une orchidée, et de l’arracher à la terre sous les yeux ébahis des gosses qui ne manqueraient pas d’observer la forme couillue de ses racines. Et de leur expliquer que c’est à cause d’elles que l’orchidée se nomme comme ça. Parce qu’orchis, c’est couille, nom féminin[1], en Grec. Ca aurait l’avantage de leur démontrer que le langage n’est pas une abstraction, et qu’il y a des raisons à toute chose, ou presque, comme au terme de « racine » en grammaire, et que lesdites raisons sont rarement fastidieuses.
Oui mais les noms et verbes, quel rapport ?
Ben, lui ai-je dit. Tu dévies, et tu leur expliques qu’avec une racine grecque, comme orchis, on peut faire d’autres mots. Comme les savants. Tiens, avec le nom orchis et le verbe klastein, casser, tu peux faire un gros mot savant. Orchiclaste, in french casse-couille.
Pis dès qu’ils sont un peu calmés, tu leur file une liste de mots français dérivés du Grec, les mots grecs correspondants, et tu leur demande de retrouver leurs petits. Mais tu te veilles les mots que tu choisis. Faut pas qu’y ait d’équivoque. D’abord les verbes français/grec, ensuite les noms français/grec, enfin les binômes nom/verbe français et grecs.
J’ai dit binôme par pure malice, c’est un mot que les instits aiment bien. Ca les rassure.
Ha mais c’est pas con… ha mais c’est pas con…
Et du coup, elle s’est lancée.
J’ai reçu hier soir un mail incendiaire.
« Je leur ai fait le plan de l’orchidée. Merci. Ca fait trois jours, et j’ai toujours pas réussi à les calmer. T’es vraiment con.»
Ben, ça va être de ma faute. Pis elle m’a pas dit pour les repérages noms/verbes. J’aimerais bien savoir si ça a fonctionné. Pour l’orchiclaste, chus pas inquiète, je me doute bien qu’il sera pas perdu.
[1] Le risque, c’est qu’un élève qui suit plus que les autres va lui demander si c’est féminin pluriel même au singulier, à cause du s à la fin. Faut jamais sous estimer les mômes.