Prenez un stylo vert...
Un correcteur, M’sieurs Dames, c’est un professionnel de la lecture et de la langue qui gagne sa vie en apportant ses éminentes lumières à des auteurs qui, après avoir transpiré des heures, des semaines, des mois et quelquefois même des années sur un texte, le livrent enfin à l’éditeur qui leur explique qu’on va maintenant « toiletter » leur ouvrage.
Au féminin, s’il vous plaît, comme dans l’expression « belle ouvrage ».
L’auteur, avec l’humilité qui caractérise si bien la profession (notez que je dis pas « ma profession », et que ce que je m’apprête à vous conter n’est que le fruit de ouïs-dire), l’auteur donc, attend alors, avec une sérénité variable selon ses précédentes expériences, le fruit des judicieuses observations du correcteur.
Après quelques semaines, ou quelques mois, le monde de l’édition n’étant pas celui de la production à la chaîne où l’on est toujours stressé, il se voit retourner son livre avec des suggestions, amendements, observations et corrections orthographiques quand il s’est oublié.
Il parcourt alors ses pages d’un
premier feuilletage global, et consterné prend conscience que sa copie
ressemble à celles que lui rendait son prof de maths de quatrième, biffée à
chaque ligne de rouge, de points d’exclamations, de « ho » indignés,
et de propositions ineptes.
J’ai reçu par exemple hier un mail désespéré d’un auteur que j’affectionne au-delà du raisonnable, m’expliquant qu’il venait de recevoir les corrections de son dernier ouvrage après que son éditeur lui eût expliqué téléphoniquement que ce dernier ne nécessitait que de minimes changements.
Las, pas une ligne n’avait échappé au crayon du Zorro de sévice, et le pauvre garçon se voyait contraint de prévoir une bonne quinzaine de labeur supplémentaire pour venir à bout de la chose.
Hé bien alors quoi, me demanderez-vous ? N’est-ce point une bonne chose que l’écriveur prenne conscience un tant soit peu des lacunes qui sont les siennes ?
Si fait, vous répondrai-je. C’est. Indubitablement.
Il est même à peine concevable que les auteurs se plaignent, l’un de ce que tous ses présents de narration aient été remplacés par des imparfaits, l’autre de ce que ses accords de participes passés aient été revus par un individu qui visiblement dispose d’une autre grammaire que le Grevisse et note dans la marge qu’on écrit « il aurait fallut » ou « nous avions convenus », ou s’insurge de voir des archaïsmes amoureusement choisis dénoncés comme néologismes, et par conséquent impropres à figurer dans un ouvrage littéraire. J’ai même pu causer avec une dame, particulièrement acariâtre, je vous le concède, qui s’offusquait de ce que sa « grosse d’huîtres » fut devenue une « grosse quantité d’huîtres » (attention aux mots qui manquent !), ou qu’un « je me sentais enclin à la bénévolence » devinsse « je me sentais enclin à la flânerie ».
Tel autre m’a même confié (on me confie beaucoup) que pas une seule virgule, sur trois cent pages, n’avait gardé sa place initiale, au risque d’induire de fâcheux contresens, ou que ses citations latines avaient été soumises aux règles d’accord et d’orthographe du Français moyen, neo se voyant doté d’un accent, et alter ego d’un double pluriel, vu que forcément, si on dit « des alter ego » ben, faut mien mettre des esses.
Vous l’aurez compris sans que je vous le dise. Ces auteurs me font doucement rigoler à monter sur leurs grands chevaux et à prétendre que bordel, ça se passera pas comme ça, je sais ce que j’écris que diantre de merde enfin. Parce que finalement, si les journalistes du Dauphiné Libéré se mettaient à avoir les mêmes exigences, et à faire de la rétention d’article jusqu’à l’obtention d’un consensus avec leur chef, jamais on lirait les nouvelles du jour, et surtout, on n’aurait pas souvent l’occasion de rire du travail de leurs correcteurs, qui s’ils n’entreront jamais à l’Académie Française, peuvent cependant prétendre à figurer avec une rare constance dans les compilations de perles, en compagnie des apprenants et enseignants de collège, copropriétaires abscons ou déclareurs de dégâts des eaux, qui sont lus eux, n’en doutez pas, avec un intérêt bien supérieur à celui que peut susciter n’importe quel roman ou essai à la mords moi le mormon qu’on trouve en édition limitée sur les étagères des libraires.