Les premières cerises...
Il était minuit, ou deux heures, et enveloppée dans un burnous improvisé pour me protéger de ces saloperies de moustiques ardéchois, je contemplais les étoiles dans le jardin de ma mère. Ca sentait l'herbe sèche, le pin, le ventre de grenouille. Le ciel explosait de poudre scintillante, les montagnes, plus noires encore que la nuit, refermaient l'horizon. Les oiseaux s'étaient tus, et par intermittence, très loin, une mobylette tentait de se faire plus grosse que le boeuf. Maman relevait alors la moustiquaire de sa fenêtre et murmurait : "Tu as pas envie de cerises ?". Sans attendre ma réponse, elle glissait pieds-nus dans mon dos, s'accroupissait à mes côtés. "Viens on va faucher celles du vieux en bas." Sans abandonner mon burnous, je la suivais, on descendait la route sur le goudron collant, jusqu'au premier virage, on dévalait la côte du champ tondu ras et piquant sous les pieds. Elle connaissait le cerisier par coeur. Les branches basses, les fourches... Grimpe. Je grimpais. Les cerises étaient tièdes du soleil de la veille. On dévorait à l'aveuglette. La peau épaisse craquait sur les chairs gorgées de sucre, elle crachait ses noyaux en l'air dans l'espoir toujours vain de m'avoir au passage. Quand on était gavées, elle me disait descend. Mais invariablement, ce putain de burnous s'était pris dans les branches, et elle me rejoignait, dans sa chemise pâle, pour me libérer du piège vert. On rentrait en riant, les mains rouges du forfait toutes les nuits répété, et puis on s'endormait dans le soleil levant, au moment où les mouches reprenaient leur danse folle.