La vie des mots
Oui, c’est une contrepèterie, et chose rare, une de celles qu’on peut enseigner aux enfants. Bref. Ce n’est pas là le sujet qui me préoccupe. En faisant mon tourduweb-café ce matin, je tombe sur ce titre du Guardian « Media hails success of Trump’s pilgrimage to Beijing ». Le sens est parfaitement clair, pas besoin de dictionnaire, si ce n’est que ce « hail » me titille l’oreille. Hail, en anglais, c’est la grêle. Du moins, c’est le sens que je lui connais, mais il signifie aussi, visiblement, « célébrer ». Dans ces cas-là, déformation professionnelle oblige, j’ouvre mon dictionnaire. Et je découvre donc que c’est aussi « héler » (un taxi), « saluer » (all hail ), « venir de » (hail from) et « Ave » dans le fameux « Ave Maria » (Hail Mary) – et je m’étonne qu’on ne me l’ai jamais faite. Mais alors, quid du visage grêlé ? dit-on hailed face ? Ben non, bien sûr. On dit « pockmarked". L’intestin grêle lui devient le « small intestine », et le maigrichon (aux jambes grêles) est tout simplement « skinny », lequel skinny désigne également le lait écrémé ou les ragots (gossip). Chaque fois que je dévide ce genre de bobine de mots pour mes élèves, ils sont partagés entre ahurissement et désespoir, et franchement, je les comprends. Il n’y a pas si longtemps, l’un de nos estimés ministres, je crois que c’était Luc Châtel, prétendait amener nos écoliers à parler l’anglais aussi bien que leur langue maternelle dès la fin du primaire. Il nous arrive à tous de proférer de louables conneries. Mais celle-là me revient en mémoire chaque fois que j’ouvre un dico (et croyez-moi, c’est tous les jours). J’ai beau travailler cette langue depuis des décennies, je suis encore bien loin de la parler comme ma langue maternelle. En vrai, je crois que jamais je n’ai traduit une page entière sans me reporter à ce fabuleux ouvrage qu’est l’Oxford Dictionnary dont, c’est promis, je vous conterai l’histoire un jour où je n’aurai rien d’autre à faire. En attendant, all hail, faut que j’aille faire des courses parce que je n’ai plus de café, et sans café, je ne suis plus moi-même.