Chers amis anglais,
Je ne connais pas un seul d'entre vous qui ait voté pour le retrait de l'Europe. La première chose que j'ai faite ce matin en me réveillant, c'est de regarder les résultats du référendum, sûre, presque sûre, que vous n'aviez pas fait ça. Mais si. Et pour la première fois depuis longtemps, depuis que nous, Français, avions élu au parlement européen des députés du front national (c'était en 85 ou 86, je ne me souviens plus exactement de la date), j'ai laissé la politique m'attrister. J'avais eu honte, à l'époque, du vote de mes compatriotes. Aujourd'hui, j'ai honte du vote de ce grand pays qui est le vôtre. J'aime l'Angleterre depuis la première fois qu'enfant j'y ai posé le pied. J'aime vos villes, vos campagnes, votre littérature et votre langue. J'aime votre petit air supérieur de conquérants du monde, j'aime même ce nonchalant mépris que vous affichez pour tout ce qui n'est pas British. Quand mon fils a voulu partir faire ses études chez vous, je l'ai encouragé. Lui aussi est tombé sous le charme de votre anglitude. Il pensait rester à Londres, y faire sa vie. Ca risque d'être difficile. C'était pourtant une tradition familiale, chez nous, qu'au moins un enfant par fratrie s'expatrie Outre Manche. J'ai chez vous la moitié de ma famille. Des oncles, des tantes, des cousins, des amis. L'idée de demander un visa pour aller leur rendre visite me navre. J'étais chez vous comme chez moi, at home. J'aimais l'idée que nous étions liés par tant de choses. Combien de vos rois furent français ? Cette reine que vous vénérez aujourd'hui n'est-elle pas fille de la maison d'Hanovre ? Combien de vos soldats sont morts sur la Somme ou les plages françaises ? Vous êtes européens, par le sang des nations qui ont fondé la vôtre. Comment, comment avez-vous pu l'oublier ? Je sais que vous avez les reins solides, vous vous en remettrez, je vous le souhaite. Mais je ne peux m'empêcher aujourd'hui de regretter votre défection, ni de déplorer la réaction qu'elle suscite parmi le peuple français qui clame dans les bistros et les marchés "bon débarras". Il faut croire qu'il y a chez nous comme chez vous une majorité - une courte majorité - de gens sans âme et sans conscience, victimes d'un populisme sans cesse grandissant, attachés à l'ostracisme plus qu'à l'amour de l'autre. L'Europe, sans doute, avait besoin d'un choc pour rebondir sur les crises qu'elle subit depuis dix ans. Fallait-il vraiment en arriver là ?