Le cheval à mon père.
C'est une des tristesses des grammairiens que, malgré leurs objurgations, on continue à marquer la possession par à aussi bien que par de. Ils autorisent "ce cheval est à mon père" ; ils défendent "le cheval à mon père". Hélas ! cette faute remonte au Vème siècle, puisqu'on lit sur un marbre de cette époque membra ad duos fratres pour membra duorum fratrum (1). Voilà un solécisme qui a de belles lettres de noblesse.
Voilà qui bouscule les idées de Ménage, qui prétendait que c'est Monsieur l'Usage qui fait et défait le language. Quoi ? Un solécisme pernicieux, objurgué à chaque génération, et à chaque génération répété, depuis six cents ans, et il est toujours pas dans les grammaires, qui n'ont jamais fait autre chose qu'entériner l'usage ? Dites-moi pas que c'est pas vrai ! Plus ralenti qu'un grammairien, y'a pas. La peuve, y'a une citation latine à ce propos. Grammatici certant. Le grammairien se tâte. Deux cents ans pour définir le genre des lettres. Le cheval à mon père est pas près de voir son nom dans le dictionnaire, mais c'est sûr, ça viendra.
(1) Je suis désolée, le texte indique une note, mais l'auteur, ou l'éditeur, a oublié de l'écrire. Sûrement une bête erreur de cas. Si y'a une subtilité salace en sus, je l'ai pas trouvée.
Piqué dans "L'esthétique de la langue française", Gourmont, 1899.