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Melting Pot et vin blanc doux
20 septembre 2010

Becoming Drusilla.

L’appartement de Dru, à l’époque comme maintenant, était au dernier étage d’un immeuble victorien pas très loin des Downs à Bristol. Quand elle m’ouvrit, le lendemain de notre conversation téléphonique, elle était la même que d’habitude. Un mètre soixante quinze, des cheveux blonds coupés courts, les pommettes saillantes. Elle avait une quarantaine d’années mais paraissait plus jeune, et plus trapue qu’elle ne l’était en réalité, à cause de ses bras et de ses mains disproportionnés, épaissis et musclés par son travail sur les bateaux, et les ongles toujours noircis par la graisse des moteurs. Elle ne souriait que rarement, à cause de sa dentition épouvantable, mais ses lunettes rondes mettaient à l’honneur l’intelligence de son regard cuivré. Je la connaissais par cœur, jusqu’au couteau Buck affûté qu’elle portait à la ceinture dans un étui de cuir usé jusqu’à la moelle.

Ce jour-là, elle portait un pantalon de treillis noir, une veste en peau de mouton, et une paire de boucles d’oreilles en perles. Elle avait changé sa coiffure aussi, opté pour une frange légère.

- Je sais, me dit-elle, on voit ma tonsure. Elle pirouetta sur les talons de ses rangers. Mais je m’en fous, hello estrogènes, bye-bye calvitie.

Ce genre de choses n’arrive qu’à la télévision. Assis devant ma tasse de thé, je songeai que quelques experts en psychologie devaient attendre cachés dans une salle de contrôle, à évaluer la décence de ma réaction pour savoir si elle correspondait à ce qu’on pouvait attendre d’un ami en pareil cas. Bien que, inspiré par le sens du mélodrame, j’étais déjà emporté par l’idée de mon importance : j’étais le meilleur ami de Dru, la seule personne au monde vraiment capable de la comprendre.

Ce qui impliquait, en premier lieu, de me retenir de formuler les deux questions pour le moins inappropriées et franchement absurdes qui m’étaient les premières venues à l’esprit. Est-ce que c’est contagieux ? Et allons-nous pouvoir continuer à dormir sous la même tente ?

*

Je ne sortis pas glorieux de l’épreuve.

Dru avait eu raison, la veille, d’être prudente. Parce qu’au téléphone, j’avais effectivement ricané. Non pas que je trouve drôle qu’elle porte des boucles d’oreilles. C’était une réaction nerveuse. Je fus abominablement, immédiatement convaincu que c’était vrai, et une véritable crise de paranoïa s’empara de moi : si c’était une blague (et c’est une seconde nature chez les hommes de chercher la blague, la protection) c’était une comédie imbécile jouée à mes dépens.

Les hommes qui se prennent pour des femmes sont amusants.

Ils s’exhibent en tenue pailletée sur les scènes de music-hall, affectent un rire de gorge…

Mais à quel point est-ce amusant d’être une femme emprisonnée dans un corps d’homme ? Est-ce un sujet qui prête à rire ? Alors quelle est la blague, exactement, quand Bugs Bunny met une robe ?

Fastoche. C’est un lapin.

Je m’étais fait avoir, voilà tout. Dru se marrait d’un rire de gorge, et se foutait de mes préoccupations aussi grotesques que récurrentes, comme de savoir ce que c’était vraiment que d’être un homme sous une tente à deux places. J’étais tout juste le genre de l’intello pâlichon dont le meilleur pote est mécanicienne de bateau, en tailleur et perles.

Mon refus d’affronter ce que Dru me disait, ma tentative d’y voir une blague dont moi, je serais l’objet – pas elle, était un acte de déni. Il y en aurait d’autres.

Extrait de Becoming Drusilla, Richard Beard, 2008.

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Commentaires
M
bonjour m'dame. et oui, c'est une jolie histoire.
Répondre
S
Merci pour ça c'est rudement joli!
Répondre
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