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Melting Pot et vin blanc doux
16 mai 2008

Des souris et des jeunes gens.

Il est des livres qui marquent plus que d’autres. J’étais tombée sur celui-là de Steinbeck l’année de mon bac de français, et l’avais, sous le coup de l’émotion, inclus dans ma liste. Ça n’avait pas manqué, bien sûr, et c’est celui-là que l’examinatrice m’avait désigné du doigt, me laissant libre de choisir le passage que je commenterais.

J’avais ouvert le livre à l’endroit de la mort de Lennie, of course, que je lui avais lu en tremblant, non pas à cause du stress du bac (je n’ai jamais ressenti le moindre stress à passer des examens) mais parce que ces quelques pages ont toujours provoqué chez moi des réactions physiques incontrôlables. Et puis j’avais causé, causé, une bonne heure durant, de la puissance de cette scène.

Je vous racontais hier chez les princesses le destin des livres. Celui-là, j’ai toujours su où il était. Quand je l’ai passé à Chonchon, voici trois ou quatre ans, j’ai retrouvé mon garçon la tête enfouie sous son oreiller trempé de larmes, qui bégayait c’est dégueulasse en me tendant le livre ouvert à ce même passage. Il en était resté agité plusieurs jours, revenant sans cesse à ces pages, marqué d’une trace qui ne s’efface jamais.

Voici quelques semaines, c’est mon second garçon qui entama la lecture des Souris, sans que je le sache. Je le vis un soir débarquer au salon et jeter ses clés à la volée dans un tiroir, l’humeur visiblement ombrageuse.

Hé ben, quéquisepass ? demandai-je, surprise de ce mouvement de rage chez un ado fort pondéré.

T’as lu ça ? me demanda-t-il en brandissant le livre sous mon nez.

Oui, j’ai lu ça.

Moi aussi, et je suis en colère. Vraiment. C’est dégueulasse.

J’ai pas demandé de précisions, ni discuté plus loin. Mon garçon en tremblait, de cette saloperie de bêtise des hommes.

Apporter à des jeunes gens la preuve qu’on peut tuer par mansuétude, par amour de l’autre, pour le protéger d’un sort bien plus cruel, c’est les faire basculer dans l’état adulte en cinq secondes un quart.

Cette scène là, elle s’impose à moi chaque fois que je suis assise toute seule sur le bord d’un cours d’eau. Je les vois tous les deux sur l’autre rive, en transparence, et j’entends George raconter les lapins dans le murmure de l’eau.

- Et les lapins, dit Lennie ardemment. Et c’est moi qui les soignerais. Dis-moi comment que je ferais, George ?

- Bien sûr, t’irais dans le champ de luzerne avec un sac. Tu remplirais le sac et tu l’apporterais dans les cages aux lapins.

- Et ils brouteraient, ils brouteraient, dit Lennie, comme ils font, tu sais. J’les ai vus. »

Et puis je vois George qui tire. Et La masse de Lennie qui s’effondre.

 

Hier, j’ai puni ma Virgule qui poussait trop loin le bouchon. Une semaine sans ordi. Il est parti furax, en claquant la porte. Et puis je l’ai entendu ouvrir et refermer rageusement un tiroir au salon et grimper l’escalier. Et puis plus rien.

Quand je suis allée chercher mes clopes dans le même tiroir, je me suis rendu compte que le livre qui était là depuis quelques jours n’y était plus. Mon bouchon s’était barré avec. Alors ce matin, je suis allée le lui piquer dans sa chambre une fois qu’il était parti à l’école. Parce qu’il y a des choses qu’il faut pas lire trop tôt, ou du moins pas tout seul dans un contexte de punition. Il va râler, c’est sûr, que je censure maintenant, et que j’ai rien trouvé d’autre pour faire chier. Mais tant pis, je préfère prendre ce risque-là à celui de le retrouver effondré sur son lit avec une plaie béante à la place de sa sérénité de petit garçon. C’est dur de devoir juger George, et les fermiers, quand on a dix-sept ou dix-huit ans. Ça fait mal. Mais onze ans, c’est trop tôt pour se pourrir les abords des rivières.

 

 

 

 

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Commentaires
A
Il me fait vachement plus rire quand c'est le gros chien de Tex Avery qui court après screwy squirrel : "once I had a little pet. But he don't move no more...".
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M
sur 7 5 que j'ai adoré,<br /> voilà le lien invisible que je cherchai...<br /> et l'amant de lady chatterley grand moment<br /> mu
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O
Après il faut leur faie lire Sa majesté des mouches (lord of the flies) moins industriel, certes, que le Seigneur des anneaux!L'émotion vraie, ça fait plus mal que le raplapla commercial! <br /> Ensuite, il y a un livre de Kenzaburo *oé dont je n trouve pas le titre qui cause de la même chose et, du même auteur: Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants"! <br /> Après quoi on lira ou relira le vrai Pinocchio, si terrible et angoissant,mais si formateur, puissant, sublime et qui fait peur..<br /> Si l'on ne s'est pas suicidé, tout ira mieux! <br /> Lord of the flies, normalement, ça fait mouche, hi! hi! c'et aussi une des clés du Trou-Mahaut, tiens, j'allais oublier!
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F
Je suis d'accord : pas trop tôt, pas tout seul dans le contexte de punition.<br /> C'est dur, Marie, mais t'es une super maman. <br /> On s'accroche.
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M
Je devais pas etre bien plus vieille que ca quand je l'ai lu. Je confirme les degats.
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