Prof d'anglais.
De nos jours, voyez vous, on
n’enseigne plus la grammaire en cours de langues. C’est comme ça. Ordres venus
d’en haut, transmis par voie de liasses de paperasses dans les casiers de
salles des profs, la grammaire doit être intuitive.
And my ass is it chicken ?
Je sais, c’est une erreur de vous révéler d’emblée ma position sur le sujet, ça
va vous ôter toute envie de poursuivre.
Nonobstant.
Vous les avez vus les merdeux de sixième, qui ne font pas la différence entre
un infinitif et un participe du premier groupe ? Ils débarquent là, et
hop, on leur apprend l’anglais intuitif.
Tant et si bien qu’en terminale littéraire on trouve encore une proportion non
négligeable d’élèves qui ne sont toujours pas foutus d’ajouter l’indispensable
s final à la troisième singulier du présent.
Du temps que j’étais prof, quand j’étais jeune, fringante, et qu’on me prenait
pour l’une de mes élèves, je consacrais au moins la moitié du temps de cours à
la grammaire. Cours et exercices. Mais ces exercices à trou à la con des
cahiers de TP, c’est travail à la chaîne et compagnie… tout pour le réflexe et
rien pour la réflexion. Or la grammaire n’est qu’analyse et réflexion. Et le
seul moyen de mettre en œuvre une procédure de réflexion utile, c’est le thème,
jugé bien trop dur pour nos petites têtes.
Oui c’est dur, mais on n’a rien sans rien, et il est tout à fait possible
de faire des trucs durs en rigolant. C’est là qu’intervient la sacro-sainte
pédagogie.
Commencez par un point de grammaire simple, comme le s final du présent, qui
est la seule difficulté (je t’en foutrais, tiens, du difficile) de la
conjugaison anglaise.
« ma grand-mère mange
du poulet le vendredi ».
« my grand mother eat… m’dame comment qu’on dit poulet déjà ? »
« funérailles, c’est quoi cette question à la con, t’es jamais allé au Mc
Do ? »
« ben si, mais je vois pas le rapport »
« tu commandes quoi au Mc Do ? »
« ben, des zamburger »
« pis si tu veux du poulet, tu commandes quoi ? »
« ben,
des chicken…. Haaaaa oui ! »
« donc ? »
« my grand mother eat chicken the friday ».
Vous pouvez le constater, on
est sur la voie du progrès, ils ont trouvé chicken tout seuls, mais on a
toujours pas le s au verbe, quand au « on Fridays »... bref.
Un jour que j’allais de table en table, lasse de les voir négliger si
ostensiblement le cours qu’ils avaient pourtant sous les yeux, j’ai demandé à
une fille, Luce qu’elle s’appelait, de me tailler son crayon à papier bien
pointu et d’enlever ses lunettes. Intriguée, elle avait obtempéré.
J’avais souligné le verbe défectueux, et ensuite pointé la mine juste sous son
œil avant de la mettre en garde : qu’elle omette encore une fois le s
fatal, et je lui crèverais l’œil, ça lui servirait de leçon. La menace avait
porté. Non seulement avec Luce, mais avec toutes mes classes, l’anecdote ayant
circulé à la vitesse de la lumière dans tout le bahut, mais aussi hors les
murs, jusqu’aux oreilles de parents venus toutes griffes dehors me demander des
comptes.
N’empêche que, voyant quelle réussite avait porté mon coup de bluff, je m’étais
accrochée à mon inédite pédagogie, et persuadée que mes phrases de thème
accompagnées d’audacieuses menaces les feraient progresser, j’étais passée à la
vitesse supérieure et à la pédagogie par l’absurde. C’est Bobby Lapointe qui
m’avait mise sur la voie. Otez à la phrase française toute apparence de
conformité à la pensée régulière, et les mômes se mettront à réflexionner sec.
Il n’était donc plus question, durant l’heure hebdomadaire de thème
grammatical, de leur soumettre des plateries sur le régime alimentaire de leurs
aïeux. J’optai pour l’imbécile le plus complet, et les mécanismes de réflexion
se mirent en route. Déroutez l’élève, faites le sourire, et vous le verrez
mordiller son crayon avant d’écrire de moins en moins de conneries. Vous ne me
croyez pas, essayez donc vous-même. Je vous laisse ci-dessous quelques phrases
de thème niveau terminale illustrant divers points de grammaire, collez-y vous,
ou collez-y vos chiards, solution demain…
Ma grand-mère traverse la
piscine à vélo.
Un clebs à tête de singe nique un chat élégant.
Si tu m’aurais dit plus tôt que j’avais un gros cul, je serais pas viendu.
Il ne respire plus depuis au moins deux jours, pourtant je jurerais que c’est
lui qu’a pété.
Si je continue à penser moins vite qu’un mouton, cette saloperie de prof me
fera brouter la pelouse du lycée.
Bien sûr, je vous l’ai dit, le vrai souci, c’est de gérer les parents derrière. Mais curieusement, depuis que je ne suis plus prof, les mêmes parents se bousculent à ma porte pour me confier leurs chiards...